« Le hockey n’est plus uniquement un sport de garçons ». Grégory Tarlé, entraîneur de l’équipe de France féminine de hockey sur glace depuis 2013, après avoir été entraîneur adjoint pendant 4 ans, est impliqué dans cette discipline depuis longtemps et peut tirer cette conclusion. Il a vu les filles arriver de plus en plus nombreuses dans les patinoires, enfiler les patins et saisir la crosse, le jeu se développer et le niveau augmenter jusqu’à la qualification des Bleues, en avril dernier. C’était pour le Championnat du monde élite, et pour la première fois de son histoire. Marion Allemoz, actuelle capitaine des Tricolores avec plus de 200 sélections au compteur, fait partie de celles qui ont ouvert la voie. « J’ai commencé à pratiquer le hockey à 4 ans au club de Chambéry, parce que j’ai suivi mes deux grands frères et mes deux grandes sœurs qui y jouaient ». Ce sport, qui était au départ une activité familiale, est devenu une passion. « J’aime la glisse, le côté jeu collectif, la rapidité », raconte-t-elle.
Une évolution globale
C’était en 1993. Cependant, Luc Tardif, président de la Fédération française de hockey sur glace (FFHG) depuis 2006, situe l’émergence du hockey féminin dans l’hexagone au début des années 2000, grâce à une évolution des mentalités salvatrice qui a permis aux filles d’entrer avec de meilleures conditions dans un sport. « Ça a débuté avec le football, quand l’Olympique lyonnais a commencé à mettre des moyens professionnels à la disposition des joueuses, estime-t-il. Puis le PSG l’a imité et a eu aussi de bons résultats. D’autres sports ont suivi, nous aussi ». Originaire du Canada où le hockey féminin est bien structuré, Luc Tardif n’avait pas besoin d’être convaincu pour ouvrir cette discipline aux jeunes filles. « C’est vraiment devenu sérieux avec la création de la nouvelle fédération en 2006. L’une des difficultés du hockey sur glace, c’est qu’il n’y a pas assez de créneaux. Il n’y a en France que 150 patinoires partagées avec le public, les scolaires et toutes les autres disciplines sur glace. Des clubs ont dit qu’ils n’avaient pas assez d’heures pour accueillir les filles. Pour certains, c’était de belles excuses, mais, pour d’autres, une réalité. Ainsi, nous avons mis en place une réglementation qui favorise la mixité ».
Favoriser la mixité
Toutes les jeunes hockeyeuses ont évolué aux côtés des garçons en club, parfois dans la catégorie d’âge inférieure, pour leur permettre de rester le plus longtemps possible dans une équipe. Par exemple, Marion Allemoz a évolué en mixité jusqu’à 18 ans dans son club du Stade olympique de Chambéry hockey sur glace. « En Europe, la mixité s’est imposée à nous, car on ne peut pas composer des championnats exclusivement féminins », explique Grégory Tarlé, qui a aussi entraîné des équipes de ce type. « Elles jouent avec les garçons jusqu’à 17 ans, avant que les différences morphologiques et physiques ne soient trop importantes ». Cette façon de travailler présente des avantages. « Les filles font énormément d’efforts pour gagner leur place dans l’équipe. Ça forge leur caractère, leur ténacité », juge le coach de l’équipe de France, qui constate une autre évolution positive. « Elles débutent le hockey de plus en plus tôt, à 5-6 ans comme les petits garçons. Avant, à quelques exceptions près, les filles commençaient plus tard et cela créait un décalage dans les catégories ». Comme les hockeyeuses enfilent les patins plus tôt, leur bagage technique s’améliore. « Le haut-niveau progresse avec le développement de la pratique pour tous », affirme Grégory Tarlé.
Consolider le hockey féminin
En plus des efforts faits par les clubs ces dernières années pour améliorer l’accueil des petites filles, le pôle France a vu le jour à Chambéry. « Il a permis aux joueuses de se développer, d’avoir des entraînements quotidiens », raconte Marion Allemoz, qui y est entrée dès sa création en 2008. Le staff de l’équipe de France dispense des entraînements intensifs à des filles qui peuvent être hébergées sur place. Un échelon supplémentaire qui a permis à plusieurs hockeyeuses d’être repérées par des membres de l’équipe du Canada et de partir outre-Atlantique. Le parcours de Marion Allemoz est une nouvelle fois un exemple : elle a joué 4 ans aux Carabins University Montréal tout en poursuivant ses études, avant de porter le maillot des Canadiennes de Montréal pendant deux ans. Depuis le début de la saison, la capitaine des Bleues est revenue en Europe, mais en Suède, à Modo hockey, « un championnat féminin très intéressant », confie-t-elle. « Le noyau dur de l’équipe de France joue en Suède, en Suisse, en Allemagne », complète Luc Tardif. Pour permettre aux joueuses d’atteindre le niveau qui les mène jusqu’à ces bons championnats, il faut éviter de les perdre entre 16 et 18 ans, entre la fin de la mixité et le début de la ligue seniors. Et organiser des stages de regroupement en été ne suffit pas. « Depuis peu, nous formons une équipe de France U16 », explique Luc Tardif. « Depuis trois-quatre ans, l’équipe de France féminine U17 joue dans le championnat des garçons. Et elles ne sont pas dernières ! » Accentuer la formation des encadrants fait partie des projets pour consolider le hockey féminin, tout comme le déménagement du pôle France de Chambéry à Cergy-Pontoise, « afin de profiter de la proximité de la fédération pour un meilleur suivi et bénéficier de meilleurs équipements », explique le président de la FFHG. Les femmes ne sont donc plus obligées de partir vers le Canada ou la Suède pour poursuivre leur carrière en seniors. Le championnat féminin réunit six équipes dans le sud et six dans le nord et, depuis trois ans, se joue de bout en bout. Cependant, Luc Tardif confie un petit regret. « Je voudrais que les gros clubs structurés de la Ligue Magnus mettent les moyens, à l’image de ce qui a été fait dans le football. Là, on passerait un cap ».
Objectif Pékin 2022
En avril prochain, l’équipe de France défendra ses chances pour la première fois de son histoire, en Finlande, lors du Championnat du monde élite qui réunit les dix meilleures équipes. « Elles vont y aller pour se maintenir », annonce Luc Tardif. « Mais ça ne sera pas facile », tempère Grégory Tarlé. Et après ? Cap sur une autre grande première, les Jeux olympiques d’hiver de 2022 à Pékin ! « Nous avons la capacité de faire partie des dix équipes des prochains JO », estime Marion Allemoz. « S’il y a qualification, on fera péter le champagne ! » promet Luc Tardif, en précisant que ça sera aussi le cas pour les hommes. Afin de décrocher ce Graal, « nous allons accompagner financièrement les filles pour qu’elles arrivent en équipe de France dans les meilleures conditions. Elles ne sont pas professionnelles, alors c’est à nous de compenser, de leur apporter des aides personnalisées pour qu’elles ne soient pas obligées d’arrêter le hockey pour bien vivre ». Une qualification des Bleues aux JO de 2022 apporterait un coup de flash médiatique à cette discipline, et pourrait encore plus encourager les jeunes filles à s’y mettre et les clubs à bien les recevoir. « La progression du hockey féminin est évidente, mais il reste du chemin à parcourir », conclut Luc Tardif.
Un jeu plus direct, plus fluide
Le hockey a été longtemps vu comme un sport d’hommes. Alors, existe-t-il vraiment des différences entre les façons de pratiquer selon les genres ? « Il y a moins de charges, mais ça n’en reste pas moins physique », indique Marion Allemoz. « Le jeu reste rapide, technique, tactique ». « Il y a toujours des duels. Défendre son territoire, c’est ce qui fait l’essence du hockey, décrit pour sa part Grégory Tarlé. Mais il y a plus de stratégie, le jeu est plus direct, plus fluide ». Les spectateurs sont nombreux à se rendre compte du bon niveau. « Depuis 2008-2009, nous organisons toujours un championnat du monde seniors ou jeunes », explique Luc Tardif. « On s’efforce d’aller dans des endroits où le hockey a besoin d’être développé, et on remplit les patinoires grâce aussi à des prix attractifs. Les gens se déplacent et sont ébahis par le niveau de jeu ».