Chambre d’appels. La pression monte. La concentration est à son point culminant. Nous sommes à l’Open Adidas, dernière répétition majeure avant le départ pour Madrid et les Championnats du monde. Au bord des tatamis, les combattants ne sont déjà plus les mêmes. Visages fermés, regards déterminés, les athlètes de l’AASS Karaté Sarcelles s’apprêtent à faire parler leur langage pieds-poings. Celui-là même qui aura l’honneur de sa première participation aux Jeux olympiques 2020 de Tokyo. « Une grande victoire dans l’histoire de la discipline », selon Francis Didier, le président de la fédération française qui compte plus de 255 000 licenciés. « Il y a 32 styles de pratiques différentes. Le karaté que le public va découvrir aux JO pourrait s’apparenter à une escrime pieds-poings. Pour nous, le karaté aux JO, c’est l’aboutissement d’une bataille de 25 ans durant laquelle le karaté s’est modernisé progressivement pour se rendre accessible aux conditions olympiques ». Au bord des tatamis parisiens, les athlètes aux survêtements bleu et jaune s’échauffent chacun à leur manière. Les uns dans leur bulle, les autres de manière collective. Parmi eux, William Rolle, champion du monde 2014, retrouve le parfum de la compétition après quatre années d’arrêt. « Je pensais avoir fait le tour, j’avais besoin de passer à autre chose, mais je n’ai jamais cessé de m’entraîner… Cette année, comme je me sentais encore prêt physiquement, on a décidé avec le coach de repartir au combat ! » Autour de lui, parmi ses partenaires de club figurent une quinzaine d’internationaux. Tous attendent avec curiosité son retour sur les tatamis…
Un rayonnement international
Club le plus titré de France, l’AASS Karaté Sarcelles s’est imposé en moins de 20 ans avec 30 titres de champions de France par équipes et 29 en Coupe de France, toutes catégories confondues. Club formateur et véritable tremplin d’athlètes de très haut niveau, l’écurie sarcelloise s’est surtout distinguée sur la grande scène internationale avec pas moins de 19 titres de champions du monde et de 29 titres européens ! Une usine à champions ? Daniel De Barros, le directeur technique, et « taulier » de la maison sarcelloise, réfute : « Avec près de 850 licenciés, on entend dire que Sarcelles est une usine mais, si on en est là, c’est justement parce que c’est le contraire. C’est grâce à l’esprit de famille du club, avec un lien très fort qui nous unit. C’est notre marque de fabrique. On vient tous les jours, on s’entraîne, on donne le maximum, on fait ce qu’on peut, mais avec de l’exigence. Cela fait 20 ans que c’est comme ça ». Leur palmarès leur donne raison. « Je ne crois pas qu’il y ait autant de domination d’un club en France dans d’autres sports », poursuit le technicien.
Une alliance avec le Team Karaté Performance
Sur les tatamis, les combats s’enchaînent toutes catégories confondues. Les coups pleuvent tous azimuts, les assauts sont fulgurants. Les athlètes montés sur ressorts jaillissent, esquivent, contre attaquent. « Gère bien ta distance, resserre… ! Ne cherche pas forcément les trois points ! » Parmi les coaches, Stéphanie Bel Lahsen Duperret livre ses consignes. Coach internationale, elle forme avec son mari Rida Bel Lahsen un couple qui présente la particularité de s’illustrer sur tous les tableaux : sous les couleurs de Sarcelles comme sur la scène internationale avec l’équipe nationale de Hong-Kong, mais également en dirigeant la Team Karaté Performance, une structure qui forme des jeunes dès l’âge de 4 ans en partenariat avec l’écurie sarcelloise. « Nous avons formé une alliance avec Sarcelles l’an passé, afin de mettre en place un travail avec de jeunes athlètes situés à Fontenay-sous-Bois. Certains d’entre eux sont devenus internationaux en catégories de jeunes. On a souhaité allier nos compétences pour les emmener plus loin, tout en conservant un esprit de famille auquel nous sommes très attachés… »
Retour sur les tatamis. William Rolle monte en puissance et montre la voie en enchaînant les victoires. Après 6 tours et des combats spectaculaires, l’ancien champion du monde finit par remonter sur un podium en remportant l’Open ! Un retour inattendu obtenu à l’énergie, mais aussi à l’expérience, fidèle aux préceptes du coach De Barros : « Ce qui est primordial dans une compétition, c’est de rester calme et patient pour être précis ». Les autres athlètes ne sont pas en reste. Avec pas moins de 13 podiums, dont 4 sur la première marche, les autres combattants de l’équipe sarcelloise démontrent une fois de plus la puissance de frappe du club, dont les résultats rayonnent sur l’ensemble de ses catégories. « Nous voyons notre pratique comme un sport de masse, c’est un sport qui est tellement complet aux niveaux psychologique, physique et technique… poursuit Daniel de Barros. La demande est très forte, on ouvre cette pratique dès l’âge de 3 ans. On ne pense pas à hisser un enfant de 4 ans au titre olympique, mais certains qui ont commencé à 4 ans pourraient un jour l’obtenir ».
L’AASS Karaté Sarcelles en chiffres
18 athlètes de Sarcelles aux Mondiaux
Quelques jours plus tard, dans le dojo rutilant Marcel-Testard de la maison sarcelloise, le groupe peaufine son jeu avant de décoller pour les Championnats du monde de Madrid. L’heure est aux derniers réglages, la team est fin prête. 18 athlètes du club, dont 5 tricolores, vont représenter leur sélection sur la grande scène mondiale. Les plus jeunes, eux, suivront à distance les performances de leurs aînés sur les réseaux sociaux. « La plupart de nos combattants internationaux sont les coaches de nos jeunes licenciés, poursuit le directeur technique. Cette transmission de nos savoir-faire, c’est l’ADN du club ». Du côté de Madrid, les joutes sont relevées, avec des combats âprement disputés. Les Bleus terminent sur la troisième marche du podium au classement général, derrière le Japon et l’inattendue équipe d’Iran.
Sarcelles se distinguera une fois de plus avec deux nouvelles championnes du monde dans ses rangs : l’Ukrainienne Iryna Zaretska en individuelle et la Française Andréa Brito par équipes. Côté coaching, Stéphanie Bel Lahsen Duperret réussira elle aussi un exploit : offrir à la sélection de Hong-Kong la première médaille d’or de son histoire en kata. Du côté des Bleus, chacun des athlètes tirera son analyse à l’aune de la course aux qualifications pour les JO de Tokyo. « La sélection va être très dure, les places seront très chères ! » prévient le président de la fédération. Yann Baillon, directeur des équipes de France, espère qualifier un athlète dans les huit catégories olympiques (trois en combats hommes et femmes, et une en kata hommes et femmes). Le rêve d’entrer dans l’histoire du karaté est permis. Les Sarcellois y croient…