Qu’avez-vous ressenti au moment de recevoir le prix de joueuse de l’année 2018 ?
C’est une satisfaction personnelle. On ne peut pas aller plus haut en termes de récompenses. De plus, c’est le rugby féminin français, le staff et la fédération française qui l’ont fait bouger, qui sont mis à l’honneur grâce à ce prix. 2018 a été une belle année durant laquelle le XV de France féminin a fait le Grand Chelem lors du tournoi des 6 nations et l’équipe de France de rugby à 7 a été vice-championne du monde à San Francisco, en plus d’avoir fini 3e du tournoi World Rugby Sevens Series, le circuit mondial de rugby à 7.
Comment cette belle histoire a-t-elle commencé ?
Je suis arrivée au rugby par hasard. Je pratiquais du football à un bon niveau, mais mon école n’a pas suivi. L’école la plus proche de chez moi proposait une section rugby. Mon père, qui en faisait, m’a dit : « Essaye ! » J’ai suivi son conseil et le rugby m’a plu. On joue avec les pieds et les mains, ce qui est rare dans le sport. Comme je venais du football, j’avais des facilités avec les pieds. J’étais suivie par la Fédération française de rugby parce que mon profil leur correspondait. J’ai connu ma première sélection en équipe de France à XV à 19 ans.
Vous évoluez en équipes de France de rugby à XV et à 7. Est-ce difficile de passer de l’un à l’autre ?
Je fais partie des filles en double projet que la FFR estime comme les meilleures du championnat, capables de jouer dans les équipes à XV et à 7. Ce n’est pas compliqué de changer d’équipe, mais c’est vrai que si c’est le même sport, ce n’est pas la même pratique. Le rugby à 7 est plus physique sur l’individu. Quand je passe du XV au 7, je dois me réadapter. Mais je suis contente de jouer dans les deux équipes.
« Consolider la base »
Vous êtes sous contrat fédéral ? Qu’est-ce que cela signifie ?
J’ai signé un contrat fédéral à 7 en juillet 2015. Cela veut dire que 75 % de mon temps je m’entraîne à Marcoussis et cela implique beaucoup de déplacements dans l’année. J’ai quitté l’Auvergne et ma famille pour monter à Paris. Ce contrat permet de nous entraîner tous les jours dans une structure adaptée, d’acquérir des automatismes ensemble, d’avoir un suivi médical et des kinésithérapeutes pour la récupération.
Ce contrat vous permet-il de vous consacrer exclusivement au rugby ?
Actuellement, 24 filles sont sous contrat fédéral à 7 et 24 filles, semi-pro, sous contrat fédéral à XV à mi-temps. Des joueuses font des études, d’autres travaillent. Moi, j’ai choisi de me consacrer uniquement au rugby qui me demande beaucoup. Lorsque j’ai signé mon contrat, j’avais déjà deux diplômes en poche. Je peux dire sans prétention que mon avenir est assuré.
L’absence de clubs professionnels est-elle un handicap dans la progression du rugby féminin ?
Il n’y a pas de clubs professionnels de rugby à XV pour les femmes et pas de championnat à 7. Il faut consolider la base, partir sur de bonnes structures avant d’envisager la professionnalisation. Dans le championnat de France à XV, des matchs se terminent sur des scores comme 70-0 ou 50-3. Je ne pense pas qu’il serait attrayant s’il passait à la télévision. Il faut d’abord renforcer le championnat, le rendre plus compétitif pour attirer des adeptes.
« Des petites filles s’identifient à nous »
On ressent cependant une vraie volonté de la FFR de développer le rugby féminin.
Il y a une réelle évolution depuis 2014 et la Coupe du monde organisée en France. La médiatisation, l’engouement et le jeu ont donné envie aux spectateurs et aux téléspectateurs de suivre du rugby féminin. L’équipe de France a terminé troisième. Grâce aux résultats qui ont suivi, la FFR a mis les moyens pour que les joueuses puissent mieux travailler. Avant, les filles posaient des congés pour jouer les matchs. Ces contrats semi-pro permettent d’avoir des phases de repos régulières, de ne pas être capter par la vie active et de mieux se concentrer sur le rugby. Cela ne fait pas longtemps que les filles du rugby à XV peuvent signer des contrats fédéraux semi-pro. On va voir si la solution est payante ou s’il faut trouver un autre moyen.
Comment la FFR trouve-t-elle les joueuses pour la nouvelle génération ?
Il y a une volonté de la fédération de mettre des choses en place pour les rugbywomen dès leur plus jeune âge. En faisant des sélections de U18 chaque année, la FFR essaye de repérer des filles assez tôt. Elle fait un suivi et leur permet d’entrer de plus en plus tôt dans la compétition pour consolider ce niveau français.
Avez-vous l’occasion de rencontrer ces jeunes filles qui se mettent au rugby ?
Je suis toujours à droite ou à gauche entre les entraînements, les matchs et les différentes sélections, donc j’ai peu de temps pour les voir. J’ai un peu l’occasion d’en rencontrer quand je reviens en Auvergne. On entend des choses qui nous touchent : des petites filles qui s’identifient à nous, qui grâce à nous se sont mises au rugby. C’est satisfaisant de voir que cette évolution passe par nous. On est efficace pour le rugby féminin. On voit plein de choses bouger devant nous. Ce n’est que le début, on ne va pas s’arrêter en si bon chemin.
« Le village olympique, c’est grandiose ! »
Quelles sont vos prochaines échéances ?
L’année prochaine sera très importante car il y aura les Jeux olympiques à Tokyo. On peut obtenir notre billet dès cette année. Cela va être compliqué, mais rien n’est fait. Pour être directement qualifiées, il faut faire partie des quatre premières équipes du circuit international World Rugby. Lors des sept tournois, on accumule des points et les totaux déterminent le classement final. Nous sommes actuellement à la 5e place et on voit les quatre premières se détacher. Le dernier tournoi World Rugby se déroulera fin juin. Si nous ne sommes pas qualifiées à ce moment-là, nous aurons encore deux chances. Un tournoi, avec des équipes européennes, sera organisé un week-end en juillet et le vainqueur sera qualifié. En 2020, deux mois avant les JO, il y aura un dernier tournoi, pas uniquement avec des équipes européennes cette fois-ci, et la première ira à Tokyo.
Vous étiez dans l’équipe de France présente aux Jeux olympiques de Rio en 2016. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Je faisais partie des réservistes. Une coéquipière s’est blessée et j’ai été intégrée dès le premier match. Nous avons terminé 6e, une place médiocre. On visait le podium alors on est reparties frustrées. C’est pour ça qu’on veut y retourner en 2020. L’introduction du rugby à 7 comme discipline olympique a mis un coup de buzz sur la pratique. De plus, le village olympique, c’est grandiose ! Je ne m’attendais pas à une telle ampleur. Par ailleurs, aux JO, on a la possibilité de voir d’autres sports, d’échanger avec les staffs d’autres disciplines et de voir ce qui se fait ailleurs. J’ai pu discuter avec des personnes issues du handball et du basket-ball.
La bio express de Jessy Trémoulière
Quelles sont les ambitions en équipe de France de rugby à XV ?
Bien figurer dans le Tournoi des 6 nations en cours. Je n’ai pas joué les deux premiers matchs (France-Galles (52-3) et Angleterre-France (41-26), NDLR) parce que j’étais en tournée avec l’équipe de France à 7. En rugby à XV, il y a moins d’échéances. En 2020, l’équipe de France rejouera le Tournoi des 6 nations. La Coupe du monde se jouera en 2021 en Nouvelle-Zélande chez les tenantes du titre. Le XV de France est déjà qualifié et a l’objectif de faire de belles choses.
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