Estelle Denis et le sport : pourquoi ?
J’aime le sport avec un but, fixé et réalisé, loin du sport loisir. Petite, j’étais fan d’Alain Giresse, de Marie-José Pérec… Les murs de ma chambre étaient couverts de posters de footballeurs. Mes parents, eux-mêmes sportifs, n’ont jamais mis de barrière parce que j’étais une fille, ils m’ont laissée faire du judo, ou du football avec les garçons. Je voulais être sportive de haut niveau, je me voyais championne olympique de n’importe quoi (rires). Puis, face à la dure réalité, j’ai décidé d’écrire sur le sport, ce que j’ai fait après le bac, le CELSA et l’IUT de journalisme de Bordeaux. Journaliste sportive, cela signifie aller au stade, bouger, ne pas passer sa journée derrière un bureau… Aujourd’hui, je cours et je joue au tennis l’été pour préserver mon classement (15/4). La course est nécessaire à mon équilibre, je m’y tiens au moins une fois par semaine. J’ai brièvement fréquenté un club d’athlétisme, puis j’ai renoué en 2008 à l’occasion des 20 km de Paris pour un défi avec mes amies journalistes de M6. J’ai ensuite couru le marathon de Paris en 2015, en 4 h 10, un vrai bonheur ! Le running est le seul sport qu’on peut pratiquer n’importe où et n’importe quand, pour un prix modéré, celui d’une bonne paire de chaussures.
« Aujourd’hui, les femmes peuvent tout faire »
Quel regard portez-vous sur le sport féminin et la place des femmes dans votre métier ?
Pour commencer, je ne fais pas de distinction entre sport masculin et sport féminin. Il y a « le sport ». Mon intérêt pour une discipline est indépendant du genre des athlètes. Plus largement, je ne me pose pas la question de savoir s’il y a plus d’hommes ou de femmes dans mon milieu professionnel. J’aime l’idée d’être « entre potes », tout simplement. Aujourd’hui, les femmes peuvent tout faire : en 2005, j’ai par exemple été la première femme à présenter un talk-show en direct sur une chaîne hertzienne (« 100 % foot » sur M6). Candice Rolland, de son côté, commente les matches de foot sur la chaîne L’Équipe, ce qui est encore rare. Pour ma part, je n’ai jamais eu envie de me livrer à cet exercice, même si on me l’a déjà proposé. Je reçois du courrier de jeunes filles disant : « Grâce à vous, je sais que je peux être journaliste dans le sport », mais je ne me vois pas du tout comme un modèle. D’ailleurs, cette attitude m’effraie un peu. J’ai envie de dire à mes correspondantes : « Ne vous prenez pas la tête parce que vous êtes une fille ! » Beaucoup travailler me permet de ne pas donner prise aux critiques éventuelles. Je porte un regard d’exigence sur moi-même et sur les autres.
Les sportives ont-elles toute leur place dans les médias ?
Même si L’Équipe diffuse les matches de l’équipe féminine de Montpellier, je reconnais que le sport féminin n’est pas toujours mis en valeur dans les médias. Mais c’est parce qu’il n’y a plus de stars du niveau de Laure Manaudou, Florence Arthaud, Laura Flessel… Des athlètes qui incarnent une certaine idée du sport. Il est vrai que mon émission quotidienne traite à 95 % de football, car c’est un sujet fédérateur, mais je m’adapte à l’actualité. Des Françaises vont briller lors des Jeux olympiques d‘hiver. Cependant les sports d’hiver ne parlent malheureusement pas à toute la population. La Coupe du monde féminine de football sera organisée en France en 2019. TF1 et TMC ont obtenu les droits de retransmission ; on verra donc des matches en direct, et l’équipe de France a ses chances.
« Voir les adolescentes abandonner le sport me désole »
Quelles sportives suivez-vous ? Quelles femmes peuvent faire bouger le sport en France ?
J’adore Marion Bartoli, et j’espère que son retour sur les courts au printemps sera gagnant. Je crois aussi en Caroline Garcia (tennis) et en Laure Boulleau (football, PSG). J’admire également l’alpiniste Élisabeth Revol, la nageuse Charlotte Bonnet ou encore Aurélie Muller, la nageuse en eau libre et, sur le plan international, Serena Williams, bien sûr. En revanche, je suis contre la parité dans les gains au tennis : on n’attire pas les spectateurs de Roland-Garros grâce au tournoi féminin ; le public vient pour le tournoi masculin, c’est un fait. C’est aussi une question de temps passé sur un court, puisque les femmes jouent en deux sets et les hommes en trois sets. Je suis pour le jugement au mérite, pas selon le genre. Comment faire bouger les choses ? D’abord il faudrait faciliter l’accès au sport au collège et au lycée, même si on ne se destine pas au sport de haut niveau. Voir les adolescentes abandonner la pratique sportive me désole. Je pense que les structures scolaires n’offrent pas assez d’horaires aménagés. Pourquoi ne pas regarder ce qui se fait en Allemagne ou dans les pays scandinaves ? J’ai d’ailleurs participé à une passionnante table ronde, lorsque David Douillet était ministre des Sports, sur le thème de la conciliation entre les études et le sport.